ON A PARLÉ BRETON À NANTES ?!? 🤔

En tant qu’association de promotion et d’enseignement du breton à Nantes et en Loire-Atlantique, on nous pose souvent la question de la légitimité de la langue bretonne dans le Pays Nantais. Voici quelques éléments expliquant en quoi le breton fait partie du patrimoine culturel de notre territoire.

Résumé :
Le breton est-il une langue historique en Loire-Atlantique ?
Oui, c’est la langue traditionnelle parlée par la population de la côte Guérandaise depuis le Moyen Âge. On retrouve des noms de lieux en breton ou ayant une étymologie bretonne dans beaucoup de lieux du 44, principalement dans le quart nord-ouest. Par proximité géographique avec Guérande et différentes périodes de migrations de bas-breton à Nantes, le breton est parlé dans la ville et autour depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours.

Le breton est-il la seule langue historique en Loire-Atlantique ?
Non, le gallo (parfois désigné comme « patois ») est la langue vernaculaire traditionnelle majoritaire des derniers siècles, sauf dans le pays Guérandais (breton) et le sud-vignoble et le sud du pays de Retz (poitevin/parlanjhe). Le gallo est encore parlé de nos jours, mais comme le breton, il est en danger d’extinction.

Parle-t-on encore breton en Loire-Atlantique aujourd’hui ?
Oui, on estime à quelques milliers le nombre de locuteurs et locutrices, natifs ou ayant appris la langue en dehors de la famille, utilisant le breton à différentes fréquences et niveaux. C’est la langue de travail de plusieurs dizaines de professionnels (essentiellement dans l’éducation et la culture), principalement à Nantes.

Une Histoire longue et riche

L’origine du breton en Loire-Atlantique :
Le breton en tant que langue vernaculaire (langue la plus parlée au sein de la communauté) s’est faite une place dans la partie nord-ouest du Pays Nantais au Moyen Âge à partir du Ve siècle par l’extension de l’influence poltique du pouvoir royal et ducal de Bretagne (pouvoir étant de langue latine, mais aussi bretonne jusqu’au début du XIe siècle)

Un recueil médiéval d’actes de propriété, le Cartulaire de Redon, nous donne un clair aperçu de l’usage du breton dans les noms de personnes et de lieux dans le nord de l’actuel département.

La toponymie et d’autres sources historiques nous indiquent que le breton fût présent ailleurs pendant certaines périodes plus ou moins courtes, par exemple à Saint-Brévin (Pays de Retz).

Extension maximum des toponymes (noms de lieux) en breton.
Il en existe aussi quelques-uns dans les zones blanches, partout dans le département.

Usage historique du breton dans la ville de Nantes :

Aujourd’hui comme hier, le littoral portuaire Guérandais est la deuxième zone la plus peuplée et le deuxième pôle économique du Pays Nantais après la capitale. Les liens économiques et démographiques existaient déjà dès le Moyen Âge d’un bout à l’autre de l’estuaire de la Loire.

Ainsi, lorsqu’ Arnold Von Harff, un chevalier allemand voyageant en Europe, fût de passage dans la Cité des Ducs vers 1499, il prit en note des mots de breton qu’il a entendu dans la ville. Nous ne savons pas précisément de quel dialecte il s’agit précisément, des hypothèses évoquent le breton Guérandais, d’autres le breton de l’Aven. On ne sait pas dans quelles conditions et contexte ces mots ont été notés.

Bien qu’attesté, nous ne savons pas dans quelle proportion le breton était commun dans la ville. Les élites politiques de Nantes étaient déjà depuis longtemps romanophones (puis francophones). Les personnes entendues parlant breton à Nantes étaient donc probablement des classes laborieuses ou marchandes originaires de la côte Guérandaise ou de plus loin (ou des natifs de Nantes issus de familles brittophones). Toutefois, quelques noms de lieux, autrefois en périphérie de Nantes comme Carcouët (prononcé carcouette = Kar Koed, ville en bois); Loquidy (du vieux breton Loscitic, lieux brûlé) et le Croisic [quartier St-Félix] (Kroazig, petite croix) laissent à penser que la langue était présente sur le long-terme et pouvaient concerner certains nobles locaux.

Imaginons tout de même cette ville-port médiévale, sûrement déjà multiculturelle, bien moins étendue que de nos jours, et dont le breton semble immanquable pour un « touriste » étranger malgré une population de seulement quelques milliers de personnes.

Article : « On a parlé breton dans le Pays Nantais »

Nantes, 1936, encart publicitaire dans Le Phare de la Loire.
« Kozed e ve brezounek » = « On cause breton »
Source de la découverte : Mitaw

Époque contemporaine :
Suite aux différentes crises démographiques et les évolutions techniques et industrielles, l’exode rural touche les campagnes au 19e siècle. Des bas-bretons brittophones ont migré à différentes périodes pour s’installer dans les villes, notamment à Nantes.
L’ethnologue Paul Sébillot, dans son livre de 1886 « La langue bretonne, limites et statistiques, Bulletin de la Revue d’Ethnographie, Tome V« , estime que 10 000 Nantais·es parlent breton sur une population de 127 000 âmes, soit plus de 7% de la population de l’époque ! Une population pauvre vivant dans les faubourgs (Chantenay, Le Marchix, Doulon…) et mal considérée par les bourgeois locaux.

Ces mécaniques sociales continuèrent jusqu’au XXᵉ siècle. Certain·es de nos adhérent·es pourront vous raconter des anecdotes sur leurs parents ou grand-parents brittophones et le breton qu’on entendait sur le port, les chantiers navals, les usines ou encore à la maison.

Nantes, 1941, chronique en breton dans Le Phare de la Loire.
« Korn ar brezoneg » = « Le coin du breton »

Le breton est-il encore parlé à Nantes ?

Un héritage familial :
Comme la quasi-totalité des langues parlées traditionnellement en France, différents phénomènes sociaux et politiques ont mené à une cassure générationnelle dans l’usage et la transmission de la langue aux jeunes générations : Les violences scolaires, les violences de classes ou l’hégémonie culturelle francophone apportée par la presse écrite, puis la radio et la télévision ont réussi à faire croire à des générations entières que leurs langues n’étaient pas légitimes, voire indésirables.

Chez nous aussi, le gallo et le breton n’y ont pas manqué. Pour le breton à Nantes, c’est peut-être un phénomène plus commun et ancien, car nous sommes une zone urbaine d’un territoire majoritairement romanophone. Bon nombre de nos adhérent·e·s, né·e·s en Haute ou Basse-Bretagne, ont un ou plusieurs parents ou grands-parents brittophones, mais n’ayant pas transmis la langue au sein de la famille. D’où leur volonté de reprendre un flambeau qui s’était éteint.

Il existe aussi des familles Nantaises employant le breton, langue maternelle ou apprise, qui ont continué ou repris la transmission intrafamiliale.

En Loire-Atlantique, on estime le nombre* de locuteurs du breton à ~4.500 et ~27.000 pour le gallo.

*chiffres basés sur le pourcentage des personnes interrogées de l’ Enquête TMO Régions (2018) déclarant parler « bien » ou « assez bien » la langue

Un héritage territorial :

Même des personnes non concernées par un héritage familial peuvent considérer bénéfique l’apprentissage, la valorisation et la transmission du breton – et ce, peu importe l’endroit ! Le breton, tout comme le gallo et le poitevin sont l’héritage linguistique du territoire, personne ne prétend que le breton est la seule langue de la Loire-Atlantique ni qu’il a toujours été parlé partout par toute la population. De plus, le breton et les autres langues celtiques sont les dernières langues vivantes cousines des langues parlées en Gaule, aujourd’hui éteintes.

Une langue, tout simplement :
Les droits culturels et linguistiques (faisant partie des droits humains) sont censés assurer la liberté de toutes et tous d’apprendre et pratiquer la langue de leur choix. Que ce soit pour des raisons patrimoniales, par intérêt intellectuel ou par curiosité : l’apprentissage et la valorisation du breton reste légitime, même dans un territoire qui n’est originellement pas totalement concerné par cette langue.

Bon nombre de parents d’élèves des filières bilingues ou immersives en Loire-Atlantique ne sont pas motivés par un lien affectif à la langue, mais également pour les avantages que propose l’apprentissage précoce d’une langue supplémentaire.

Et le gallo dans tout ça ?

Pourquoi on a des panneaux français-breton et l’apprentissage du breton est développé alors que notre autre langue locale, le gallo, reste invisible ?

La réponse est à nuancer : Premièrement, il y a depuis longtemps dans le milieu culturel breton une plus grande volonté de préserver la langue bretonne. Le gallo était à l’époque perçue comme un patois ou une (mauvaise) version locale du français. Ainsi, les militant·e·s et artistes originaires de Haute-Bretagne se sont historiquement principalement tournés vers le breton. Toutefois, certain·e·s ont pourtant continué à s’intéresser à la langue, à faire des collectages auprès des ancien·e·s ou encore à l’utiliser dans des œuvres (essentiellement des contes). Le gallo s’exprime surtout dans la sphère privée, mais également dans quelques cadres culturels ruraux.

Passé la honte de « causer patois », le début du 21è siècle voit l’émergence d’une revendication plus organisée. Néanmoins, la pratique dans la langue est encore marginale et réservée à la sphère privée. L’enquête TMO Régions de 2018 estime que presque la moitié des bretons ne connaissent pas du tout le gallo ! C’est pour cela que l’emsav et l’erchomance (le mouvement de revitalisation du breton et celui du gallo) évoluent avec des temporalités et des problématiques différentes, bien que partageant de nombreux points et objectifs communs.

Le mouvement associatif breton moderne a tendance à soutenir davantage les initiatives pour le gallo, même si certain·e·s n’ont pas encore intégré l’intérêt de la sauvegarde de ce patrimoine linguistique.

Pour aller plus loin : Article « Léandre Mandard retrace l’histoire de la revendication pour le gallo »

De cai qe j’ons a mener ? Que faire pour le gallo ?

L’apprendre, l’utiliser et l’enseigner
– Informer le monde de l’éducation sur les initiations dans les écoles
– Militer auprès des collectivités, entreprises et associations de signer la charte « Du galo dam yan, dam vére »

Le Touéne q’ét li orinë ded Roujë (coutë de Chatiaoberiant) 
Antoine qui est originaire de Rougé (Châteaubriant)

Le contou Yves Bourdaod, orinë du Payiz de la Mée
Le conteur Yves Bourdaud, originaire du Pays de la Mée.

En savoir plus sur le breton et le gallo en Loire-Atlantique : ACCÉDER AU BLOG « MITAW »